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Quand les grands éditeurs irritent et abusent de leur force


Géants de l'IT et entreprises clientes, des partenaires ? Pas sûr que toutes les pratiques des éditeurs (Microsoft, SAP, Oracle et Salesforce en tête) puissent être jugées acceptables d'acteurs qui se présentent volontiers comme des partenaires. Le Cigref plaide pour une relation "équilibrée".

"Nos clients ? Ce sont de véritables partenaires" se plaisent à déclarer régulièrement les grands fournisseurs IT - et pas que; par ailleurs, les grands donneurs d'ordre aiment eux aussi à présenter leurs prestataires comme des partenaires.

Entre partenaires, certaines pratiques devraient pourtant être a priori exclues. Or de mauvaises pratiques, les entreprises clientes en recensent encore un certain nombre, plusieurs anciennes, mais toujours vivaces.

Les abus aussi ont migré sur le cloud

Le Cigref, qui réunit les DSI des grandes entreprises et administrations françaises, a établi un petit panorama de ces comportements qui nuisent à la relation client-fournisseur et à la pérennité de la transformation numérique. L'organisation appelle ainsi à "un comportement commercial plus mesuré des grands éditeurs, à une relation équilibrée et transparente (gagnant-gagnant) et à des partenariats d’innovation."

Si tous les acteurs du marché sont susceptibles d'adopter de mauvaises pratiques, certains d'entre eux se distinguent néanmoins plus que les autres dans ce domaine du fait de leur taille et de la place influente qu'ils occupent.

Le Cigref ne se prive pas de citer les plus emblématiques : SAP, Oracle, Microsoft et Salesforce. Audits hostiles, accès indirects, effet cliquet sont quelques-uns de ces agissements jugés problématiques par les DSI. Ils ne sont pas nouveaux et appartiennent même à l'ère du logiciel sous licence. Le Cloud n'a-t-il pas changé la donne ?

Non, et pour au moins deux raisons. D'une part, le cloud n'a pas fait disparaître le on-premise et les systèmes legacy des entreprises. D'autre part, estime le Cigref, avec "l’irruption des technologies, dont le cloud, qui bousculent les modèles de rémunération des grands fournisseurs et éditeurs de logiciels, cette relation [entre 'partenaires'] s’est considérablement détériorée depuis quelques années."

Cela tient en grande partie à la concentration des pouvoirs entre les mains d'un petit nombre de "grands acteurs internationaux, essentiellement américains." Difficile en effet de négocier individuellement et d'égal à égal avec de telles multinationales.

Si le cloud a pu promettre de rebattre les cartes sur le marché et permis l'émergence de nouveaux géants, comme Amazon, il n'a pas occulté pour autant la question du rapport de force. Pire donc, pour le Cigref, les relations se dégradent.

"Les membres du Cigref font face chaque jour aux promesses non tenues du cloud, à des modèles de licences à bout de souffle adossés à des tarifications complexes, à des audits longs et hostiles, à des contrats générant des dépendances, ou à des problématiques de sécurité et de protection des données auxquelles les fournisseurs n’apportent pas toutes les réponses."

Des audits "qui ont toute l’apparence d’audits de représailles"

Si l'accès aux technologies a profondément évolué, certaines pratiques ne prennent en revanche pas une ride. L'organisation en cite quatre, dont bien des DSI peuvent témoigner de la persistance. C'est par exemple le cas des audits de licence. C'est un droit contractuel des éditeurs pour s'assurer que leurs clients paient pour toutes les licences qu'ils utilisent.

Sauf qu'il est aussi tentant pour des éditeurs d'en faire une arme de dissuasion et un usage donc "hostile". De tels audits pourront ainsi être opportunément déclenchés suite au décommissionnement d'une application, au choix d’une tierce maintenance, ou d'un retrait des services de l’éditeur.

Ils ne sont pas le monopole des grands éditeurs, Oracle ayant souvent été cité par le passé (aujourd'hui encore ?) pour son recours à ce type d'audits. "Ces audits, qui ont toute l’apparence d’audits de représailles, sont très présents chez de plus petits éditeurs comme Microfocus, et participent sans doute de la stratégie de préservation de leur chiffre d’affaires" souligne le Cigref.

D'autres fournisseurs ont un goût plus prononcé pour les accès dits indirects. SAP fait clairement office de référence dans ce domaine. "Pour les entreprises, les accès indirects reflètent l’agonie d’un modèle de licence basé sur la tarification à l’utilisateur des systèmes de SAP" taclent ses clients. Et ce n'est pas la nouvelle méthode de calcul imaginée par l'Allemand qui apaisera les esprits.

Pour les membres du Cigref, pas de doute, "la protection de la propriété intellectuelle devient un outil ou même un prétexte commode des éditeurs pour conserver la profitabilité des licences." Mais par leurs acquisitions ["Java par Oracle, MuleSoft par Salesforce, ou GitHub par Microsoft", par exemple], les éditeurs contribuent aussi à "l’assèchement de l’innovation et des solutions alternatives."

Si la puissance et les pratiques de fournisseurs IT sont une épine dans le pied des entreprises, elles mettent aussi en lumière la dépendance technologique des clients "vis-à-vis de quelques multinationales", des risques qui en découlent, tout en posant la question de la souveraineté numérique - sujet si cher aux politiques français.

Assèchement de l’innovation et des solutions alternatives

Cette problématique n'est cependant plus une préoccupation pour les seuls décideurs politiques, souvent favorables à une réaction à l'échelle de l'Europe. Le Cigref y voit aussi une piste à examiner. Et comme le nombre fait la force - le rapport de force dans la négociation -, les Français espèrent trouver des alliés au niveau européen et d’EuroCIO, pour "discuter avec les représentants Europe et Corp. des fournisseurs pour influer sur leurs pratiques."

Mais l'organisation compte aussi "alerter la Commission européenne sur les enjeux de réversibilité et d’interopérabilité, mais aussi de souveraineté, et la nécessité de créer ses propres champions européens dans le cadre du digital single market." Des champions comme SAP ? D'autres, certainement (aussi).

Si les grands fournisseurs IT ne sont pas tous, ni tout le temps, exemplaires, il en va de même des grands donneurs d'ordre, dont sans doute des membres du Cigref. "Nous avons souvent fait état de mauvaises pratiques de certaines entreprises. Avant, nous subissions. Maintenant, c’est fini" lançait à ce titre en 2015 le président de Syntec Numérique.

En 2018, l'entrée en vigueur du RGPD est l'occasion de nouveaux bras de fer entre clients et prestataires IT en raison de la tentation des premiers de transférer à leurs "partenaires" une partie de leurs responsabilités et risques. Petits éditeurs et startups ont également subi - et subissent parfois encore - les désidératas de leurs clients du fait d'un rapport de force défavorable.

La solution, comme l'appelle de ses vœux le Cigref, réside sans doute effectivement dans "le rétablissement d’une relation commerciale équilibrée et apaisée", mais au bénéfice à la fois des consommateurs des technologies que de leurs fournisseurs.

L'équilibre et l'apaisement souhaités tarderont peut-être à se concrétiser dans les relations avec les géants étrangers de l'IT. Dans un communiqué, le Cigref note que des points d'achoppement font ainsi toujours barrage du côté de Microsoft.

Microsoft dominant et désinvolte

"Les entreprises décrivent un éditeur conscient de sa position dominante, qui considère avec désinvolture les préoccupations et demandes de ses clients." Si en ce qui concerne Oracle, le dialogue est "restauré", cela n'est pour le moment pas suivi d'effets et d’une "amélioration" sur les demandes faites à l'éditeur.

Quant à SAP, un Européen cette fois, les discussions sont toujours "engluées" sur la question des accès indirects. L’éditeur "démontre par les faits, ne pas tenir compte de la réalité clients, alors qu’il semblait assouplir ses positions dans son discours."

Discuter et négocier sont un moyen de rééquilibrer un rapport de force défavorable au départ. Miser sur des outsiders et des alternatives en est une autre. Attention cependant de ne pas se retrouver confrontés dans quelques années aux mêmes problèmes qu'aujourd'hui. Le Cigref et ses membres entretiennent ainsi des contacts réguliers avec AWS et Google.

L'open source est une autre des alternatives à l'étude. Mais si les solutions open source sont nombreuses dans le domaine de l'infrastructure - y compris sur les plateformes cloud des géants américains -, elles sont en revanche plus rares dans les applications métiers. Mais en outre, les géants s'y intéressent aussi.

"Le rachat récent de GitHub par Microsoft n’est donc pas de nature à rassurer la communauté open source et les entreprises, qui constatent l’assèchement par quelques grands fournisseurs des solutions indépendantes" note le Cigref.

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